Le PowerPoint, ennemi de la pensée complexe
PowerPoint est devenu au fil des années l’outil de communication majeur des entreprises : résultats financiers, comités projet, pitch, tout ou presque passe par cet outil magique permettant de simplifier les messages, construire des punchlines, en un mot vendre. C’est bien simple, tout projet repose sur des présentations épaisses, revues distraitement lors de réunions souvent interminables.
Il y a quelques années, un entrepreneur iconoclaste, rafi Haladjan, dénonçait déjà les méfaits des outils de bureautique dans le réjouissant « Comment devenir beau, riche et intelligent avec Word, Excel et PowerPoint« . Selon l’auteur, le pack Office incite aux raccourcis intellectuels et ne permet pas de produire une pensée complexe, argumentée et articulée. Par leur facilité d’emploi, les outils bureautiques nous poussent de manière insidieuse à nous concentrer sur la forme plutôt que sur le fond, créant une fausse impression de maîtrise du sujet. Comme toujours, l’outil oriente la manière de penser. Le manifeste n’avait malheureusement pas dépassé le stade du succès d’estime.
Comment Amazon a interdit PowerPoint et s’en porte très bien
Mais Jeff Bezos est passé à l’action il y a quelques années en interdisant carrément les les PowerPoints dans les réunions de travail en les remplaçant par des Mémos. Oui des Mémos, sous Word, comme il y a 25 ans. La règle du jeu est simple :
- 6 pages maximum.
- De vraies phrases avec sujet, verbe, complément.
- Un argumentaire complet, porté par une structure claire.
- Un temps de lecture dans le silence au début de chaque réunion, afin de s’assurer de la bonne compréhension des arguments et lancer les débats avec un niveau d’information équivalent pour tous.
Les bons Mémos prennent des semaines à écrire et nécessitent des revues et relectures multiples pour peaufiner l’argumentaire. Amazon, n’essaie pas d’aller vite en produisant du fast thinking mais de fixer des standards de qualité élevés, comme expliqué par Jeff Bezos dans sa lettre aux actionnaires de 2018.
Pourquoi les Mémos s’avèrent-ils bien supérieurs au bon vieux PowerPoint ?
L’être humain aime les récits, les mythes et les histoires. Comme expliqué dans l’excellent Sapiens, les mythes et les récits créent un imaginaire commun permettant la collaboration entre les hommes. L’être humain est un animal social, c’est sa capacité à construire des communautés larges et complexes qui lui a permis de dominer les autres espèces. Construire un récit clair et articulé, c’est créer les conditions nécessaires pour convaincre et mettre en mouvement les équipes autour de soi. Un Mémo est la forme la plus efficace pour raconter une histoire, enchaîner les arguments dans une structure claire et évidente : celle des livres et des articles de presse. Il n’y a pas de meilleure solution pour faciliter le déploiement d’une pensée narrative.
Les PowerPoints sont a contrario souvent mal construits et manquent de structure. La complexité du sujet est trop souvent évacuée à cause des limites inhérentes au format. Résultat l’histoire racontée est rarement claire, les points clés d’information ou de décision peu évidents. En effet, un PowerPoint favorisera les slogans, les messages forts et les illustrations à fort impact. C’est un excellent format pour accompagner un discours structurés (les fameuses keynotes de Steve Jobs n’étaient accompagnées que de quelques images ou chiffres clés projetés) mais pas un format adapté à la prise de décisions sur un sujet complexe.
PowerPoint a ainsi tendance à favoriser le travail sur la forme plutôt que sur le fond. Combien d’heures sont-elles passées à aligner des boîtes, retravailler des visuels au lieu de travailler sur les arguments ? Le piège de PowerPoint est là : favoriser le visuel qui claque au détriment des arguments mûris longuement. Un court Mémo ne nécessite qu’une mise en forme minimale, libérant un maximum de temps pour l’essentiel.
Enfin, avec un Mémo on ne peut se cacher derrière des artifices visuels pour masquer les failles de sa réflexion. Écrire un bon Mémo nécessite une maîtrise totale de son sujet, afin de convaincre de manière simple et pédagogue. Créer un sentiment d’évidence chez son lecteur est l’aboutissement d’un travail de longue haleine, de lectures et de relectures par des contributeurs apportant leur pierre à construction de l’argumentaire.
Et si vous tentiez l’expérience ?
Pourtant, malgré ses avantages évidents, le Mémo reste délaissé dans la plupart des organisations, chaque réunion devant être accompagnée de slides, souvent bâclées d’ailleurs. Ironiquement, c’est souvent au niveau de la Direction Générale que les Mémos survivent le mieux. Au-delà du souvenir des années passées en cabinet ministériel, c’est un moyen simple d’aller à l’essentiel pour s’informer des sujets stratégiques et faciliter la prise de décisions. Si le top management continue à fonctionner avec des Mémos, pourquoi le reste des équipes ne ferait pas de même ?
Il faudra du temps et surtout une action résolue du management, comme chez Amazon, pour perdre les habitudes bien ancrées. L’art délicat du story-telling s’apprend mais surtout se pratique et le Mémo est un révélateur impitoyable des failles de raisonnement. Alors, à quand un projet mené de bout en bout sans aucun PowerPoint ? Voilà qui ouvrirait des perspectives nouvelles, qu’en pensez-vous ?
En tous cas, nous sommes prêts à jouer le jeu avec vos équipes et explorer de nouvelles manières de gérer les projets et la complexité.