L’agilité dans la banque, un oxymore ?

L’agilité est devenue, en quelques années, un concept incontournable pour toute grande banque qui se respecte. Quelques soient les objectifs et le niveau d’ambition que les dirigeants projettent réellement derrière ce terme, il est impensable aujourd’hui pour un grand groupe bancaire de ne pas mener une réflexion autour de « l’agilité ».

Au-delà de l’effet de mode et de la peur d’être très vite vu comme « has been » dans un monde en mutation sans cesse accélérée, où les GAFA et autres start-ups apparaissent comme les seuls modèles à suivre, quels sont les drivers qui poussent les banques à remettre en cause leur modèle d’organisation ? Ce type d’approche est-il vraiment adaptable à leurs spécificités et à leur mode de fonctionnement ?Quels sont les facteurs clés de succès pour réussir une transformation agile dans la banque ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, tant le concept semble à la mode depuis peu, les méthodes dites agiles ne sont pas nouvelles en entreprise : elles sont nées il y a plus de 20 ans ! Issues à l’origine du monde du développement informatique, elles y sont restées cantonnées jusqu’à ce qu’elles soient poussées sous les projecteurs avec l’apparition et l’essor des géants du Web, qui ont fait de ces approches un des piliers de leur succès (avec l’innovation et la disruption).

Pour faire simple, elles ont toutes un objectif commun : délivrer plus vite un maximum de valeur. Et pour l’atteindre, quelques grands principes : focus client, pragmatisme et réactivité. Les approches agiles déclinent ensuite ces principes au cas par cas: cycles de développement itératifs pour éviter les effets tunnel, responsabilisation des équipes, autonomie, droit à l’erreur, promotion de la collaboration…

En termes d’organisation, cela se traduit par la mise en place d’unités de production plus autonomes (des « feature teams » regroupant l’ensemble des compétences nécessaires pour « délivrer » une solution ou un service de bout en bout) et une hiérarchie aplanie avec la suppression annoncée du middle management : bref davantage de décentralisation.

Ces approches et les promesses qu’elles portent arrivent ainsi à point nommé dans les banques, qui sortent justement d’un cycle de centralisation qui a atteint ses limites : création de centres de services partagés, d’usines transverses de traitement des opérations, de plus en plus souvent offshorées, autant de concepts qui, en cherchant à supprimer les silos entre métiers, ont fini par créer de la complexité et de la lourdeur: il apparaît en effet quasiment impossible de répondre avec des solutions transverses à des besoins émanant de multiples métiers sans perdre au moins sur un des trois axes : qualité, réactivité ou coût.

Dès lors, il est tentant pour les banques de vouloir copier les modèles organisationnels des GAFA ou autres géants du numérique, au vu de leur indéniable succès. Leur adaptation se heurte néanmoins aux spécificités de l’industrie bancaire et au poids du passé, deux aspects que les entreprises nées à l’ère du numérique n’ont pas eu à gérer, ou en tout cas dans de moindres proportions :

  • La complexité des SI bancaires et leurs interdépendances multiples, qui rendent compliquée la mise en place de « Business Units » véritablement autonomes et indépendantes.
  • Le cadre réglementaire, qui va intrinsèquement à l’encontre du principe d’agilité.
  • Le poids historique du « command & control » dans les organisations bancaires, qui rend difficile le changement vers des organisations moins hiérarchisées.

Ainsi, vouloir calquer les organisations « agiles » des entreprises du numérique sans prendre en compte les particularités du monde bancaire risque d’aboutir soit à une agilité de « façade » sans bénéfices réels, soit à un échec pur et simple de la démarche…

Comment les banques peuvent-elles dès lors réussir une transformation agile ?

En commençant d’abord par être agile dans sa mise en œuvre !

  • En ne cherchant pas à généraliser dès le départ l’approche à l’ensemble de la banque, mais en priorisant les départements où l’agilité apportera rapidement le plus de valeur :
    • Ceux où les équipes forment des ensembles cohérents (d’un point de vue fonctionnel et technologique) et relativement autonomes, c’est-à-dire où les interdépendances avec le reste du système d’information sont limitées (le digital évidemment s’y prête particulièrement bien, car les outils digitaux sont souvent décorrélés des systèmes Core).
    • Ceux où il est plus facile de mettre en place des cycles courts de livraison (ne nécessitant pas de longues campagnes de non régression par exemple).
  • Egalement en ne cherchant pas à tout prix à forcer l’approche là où elle fait moins sens : certains pans de l’organisation sont par nature moins agiles et sont même amenés, dans ces nouvelles organisations, à jouer un rôle de contre-pouvoir (par exemple la compliance ou l’architecture d’entreprise, dont on attend des principes stables dans la durée).

Cependant, appliquer ces quelques bonnes pratiques ne servira que peu sans une véritable refonte des organisations bancaires, aujourd’hui encore souvent constituées autour de « fonctions ». Pour bénéficier véritablement des avantages de l’agilité, l’organisation doit être repensée en mettant le client au centre : il s’agit ni plus ni moins pour les banques de redécouper leur organisation en Business Units, orientées client, quasi autonomes, et responsabilisées sur leur périmètre.

Evidemment, cela ne pourra se faire sans de profonds changements de mentalité et donc sans une conduite du changement soutenue et appropriée (voir à ce sujet l’excellent article de L . Pirker dans l’Uppercut de juillet dernier) – mais c’est bien là le ticket d’entrée dans l’ère digitale…