Taux négatifs et épargne – Une opportunité pour transformer l’expérience client ?

Les taux négatifs, une réalité durable qui pèse sur les marges

Les taux négatifs ne peuvent plus être considérés comme une situation exceptionnelle. Les dernières mesures d’assouplissement monétaires décidées par la BCE tendent à prouver que les taux négatifs vont durer pendant des années alors que la croissance économique reste poussive. Pour les banques, c’est un voyage en terre inconnue, alors que les marges d’intérêts représentent toujours de 50 à 60% des revenus, notamment pour les établissements les plus petits, incapables d’offrir des services complémentaires sources de commissions.

Illustration : Evolution des taux d’intérêts de la FED et de la BCE (Source AFP)

Mais au-delà de la baisse des marges d’intérêt, les taux négatifs ont également transformé les dépôts en centre de coût. En effet, les établissements bancaires doivent placer en fin de journée leurs liquidités excédentaires à la BCE au taux négatif de -0,50% désormais. Même si le « tiering » annoncé en septembre par la BCE permet de n’appliquer les taux négatifs qu’au-delà d’un montant correspondant à six fois les réserves obligatoires, la facture restera salée : autour de 7 milliards par an pour les banques européennes, dont 2 milliards pour les seuls établissements français.

Face à cette situation, certains établissements sont tentés de répercuter le coût des taux négatifs sur les clients. En France, Lombard-Odier devrait taxer les dépôts au-delà de 1 million d’euros. UniCredit irait plus loin en taxant les dépôts au delà de 100 000 euros tandis que les établissements allemands y pensent également. Taxer les dépôts est logique pour sauvegarder la rentabilité mais c’est une mesure dangereuse d’un point de vue commercial. Mais quelles sont les alternatives possibles pour les banques françaises ?

Les alternatives traditionnelles aux dépôts ne fonctionnent plus

Une manière de limiter le coût des taux négatifs est d’orienter les dépôts des clients vers d’autres placements. Malheureusement, la rentabilité des livrets d’épargne réglementée ou le fonds euro des contrats d’assurance-vie sont eux aussi frappés de plein fouet par les taux négatifs.

L’épargne réglementée et en premier lieu le livret A ne sont plus des produits rentables pour les banques. La rémunération reste trop élevée par rapport à l’environnement de taux et la compensation de 0,3% sur la part centralisée à la CDC ne couvre plus les coûts des banques. Par ailleurs, les contraintes d’utilisation des dépôts par les banques (financement des PME par exemple), créent une contrainte supplémentaire, difficile à gérer.

Autre placement plébiscité par les Français, le fonds euro ne saurait être une solution durable. Les autorités de tutelle s’inquiètent de la soutenabilité des rendements servis tandis que les recapitalisations de sociétés d’assurance-vie, à l’image de celle de Suravenir, se multiplient. L’effondrement des rendements sur les bons du Trésor touchent de plein fouet les compagnies d’assurance-vie qui doivent réduire les rendements et diversifier leur modèle pour préserver leurs ratios de solvabilité. D’ici 2021, le taux servi aux épargnants ne devrait pas dépasser 0,5%.

Il faut donc trouver d’autres produits et d’autres manières d’orienter l’épargne des clients vers une offre d’épargne mieux adaptée à leurs besoins… et plus rémunératrices pour les banques.

L’échec des démarches de conseil en investissement

Le sujet du coût des dépôts est également l’expression des difficultés récurrentes des banques à offrir un conseil en investissement simple, efficace et surtout systématique. L’épargne des Français atteint des records, la population vieillissante et les incertitudes sur l’avenir jouent mais les banques n’arrivent toujours pas à orienter les placements vers des produits investis à moyen/long terme. Ainsi, malgré une rémunération très faible, les liquidités, les livrets et le fonds euro représentent 62% du patrimoine des Français selon l’Observatoire de l’Epargne Réglementée.

Cette stratégie de placement est sous-optimale, notamment pour préparer la retraite mais les banques ont bien du mal à rendre intelligible les démarches d’épargne. Les retours mitigés de l’AMF sur les questionnaires investisseurs et les démarches de conseil en sont la preuve

Pour construire une solution viable il faut revenir aux basiques : quelles sont les attentes des parties prenantes ?

Pour construire une solution, il faut avant tout tenter de trouver une convergence d’intérêts entre les 3 grandes parties-prenantes :

  • Les clients en quête d’épargne
  • Les établissements financiers
  • Les acteurs en quête de financement

Illustration : diagramme de Venn des attentes sur la gestion des dépôts

En partant d’attentes a priori contradictoires, il est possible d’identifier les contours d’une offre apportant de la valeur à l’ensemble des acteurs concernés. Mais pour cela, il faut aller à l’encontre de quelques idées reçues :

  • Les clients ne s’intéressent pas à leur épargne, ils sont bien loin de la sophistication mise en avant par les établissements financiers. La preuve ? 69% des Français ne savent pas ce que rapportent leur épargne et 20% ne détiennent qu’un seul produit d’épargne.
  • Les clients attendent des solutions packagées simples intégrant une poignée de produits clairs et bien identifiés. Les offres des établissements financiers sont trop complexes, trop touffues et répondent aux attentes des professionnels de la profession, pas aux attentes réelles des clients.
  • Une gestion automatisée des arbitrages et des versements complémentaires est tout à fait acceptable et même souhaitée dans le cadre de l’anticipation des découverts. Dans ce cadre, une démarche de conseil ponctuel, complexe à mettre en oeuvre et engageante pour le client n’est peut-être pas la mieux adaptée.
  • La notion de taux négatifs est incompréhensible pour le plus grand nombre, vouloir taxer les dépôts sera certainement mal perçu et source de pertes de clients.
  • Les établissements financiers doivent adopter une approche de réduction du coût, similaire à celle de certains desks de trading (le desk de CVA par exemple) qui débutent l’année avec un P&L négatif, l’objectif étant de faire une perte moindre que prévu. Si par exemple le coût des dépôts pour la banque passe à -0,2% (contre -0,5% en cas de placement des liquidités auprès de la BCE), c’est une opération gagnante. Le gain serait loin d’être marginal, autour de 1 milliard par an pour les banques françaises.

Quelle solution proposer ? Ant Financial, l’inspirateur

Si les banques n’ont pas encore trouvé la solution pour gérer sans friction les dépôts des clients, une Fintech a réussi. Ant Financial a vu l’opportunité derrière la trésorerie dormante des clients utilisant Alipay. En quelques années, grâce à des taux attractifs et une gestion efficace du nivellement de trésorerie, Ant Financial a créé le plus grand fonds monétaire du monde avec 144 milliards d’USD, même si la baisse des rendement a généré des sorties importantes de la part des clients (à son pic, le fonds avait 270 milliards d’actifs sous gestion).

Bien entendu, le rendement est un élément clé de ce succès mais sans une gestion transparente des mouvements, le succès n’aurait pas pu être aussi fulgurant. Les utilisateurs ont ainsi accès à un compte rémunéré, pouvant être utilisé à tout moment pour faire des achats sur Alipay. Cette expérience sans couture, simple et facile est certainement ce qui se rapproche le plus des besoins des Millenials.

Construire une plateforme d’épargne automatisée, nouveau défi des établissements financiers

Comme évoqué précédemment, les démarches classiques de conseil ponctuel avec quelques rendez-vous par an ne fonctionnent pas :

  • Les clients, sauf exception, ne sont pas intéressés par ce type de bilan trop statique et trop contraignant. Par ailleurs, comment s’assurer du suivi dans la durée de l’investissement ?
  • Les conseillers ne sont pas assez nombreux, formés et outillés pour pouvoir effectuer un suivi de qualité dans la durée.
  • Les établissements bancaires sont devenus extrêmement frileux face aux contraintes liées au conseil en investissement et réservent ce service à la clientèle patrimoniale, se privant de l’essentiel de leur clientèle. Le conseil « sur-mesure » n’est tout simplement pas soutenable

Face à ce constat d’échec, les banques doivent repenser leur approche et changer leur paradigme. Ceci peut passer par une réponse tactique (renforcer le conseil, lancer des campagnes épargne financière plus agressive) ou être l’occasion d’apporter une réponse stratégique, s’appuyant sur les données client et la technologie pour automatiser la gestion de l’épargne. Les solutions sont propres à chaque établissement bien entendu mais on peut imaginer un ecosystème reposant sur :

  • Un nivellement automatisé des dépôts des clients, orientés automatiquement vers des produits d’épargne court terme. Les banques ont quasiment toutes des applications de gestion budgétaire liées au compte des clients et peuvent calculer un coussin de sécurité minimum toujours à disposition sur le compte du client. Dans l’autre sens, en cas de débit impromptu, la banque doit être capable de procéder à un virement automatique du compte épargne court terme vers le compte courant.
  • La création d’un produit monétaire transparent permettant de capter la trésorerie excédentaire des clients. Ici, on peut imaginer un fonds monétaire intégrant une poche monétaire très liquide et des poches investies sur des obligations court terme pour apporter un supplément de rendement. Pour rendre le produit attractif, la question d’un rendement garanti, même symbolique, se pose car aucun épargnant n’investira dans un produit à taux négatif. Mais servir un rendement de 0,2% par an serait toujours plus rentable que de payer 0,5% à la BCE pour parquer les liquidités excédentaires.
  • Pour rendre ceci possible, il faut basculer du conseil en investissement vers la gestion de portefeuille. Encore réservée à la clientèle banque privée, la gestion de portefeuille permet de mettre l’épargne des clients en pilotage automatique et d’assurer une gestion plus efficiente et dynamique des comptes clients. Ici, l’utilisation des capacités techniques des robo-advisor aurait beaucoup de sens. Bien entendu, ceci signifie fournir un service d’investissement et un compte titre à une population nombreuse et nouvelle. La normalisation du service serait donc clé pour réussir.
  • La revue des questionnaires investisseur afin d’être en ligne avec la réglementation (ce qui est souvent loin d’être le cas) et offrir une expérience client de qualité, en ligne ou en présentiel. Alors que le questionnaire investisseurs est réservé à une frange de la clientèle, il devrait être étendu à l’ensemble des clients, même modestes, afin de pouvoir leur offrir des solutions de diversification.
  • La simplification drastique des offres d’épargne financière pour construire des plans automatisés d’épargne programmée. Pour les clients fortunés, une gestion sous mandat à base de quelques briques OPCVM serait une solution efficace, tandis que les autres clients pourraient être orientés vers des fonds profilés, en fonction de leur appétence au risque. Les clients, sauf exception, ne s’intéressent pas à la complexité des produits, ils cherchent transparence, simplicité et performance. Proposer un catalogue intégrant des centaines de produits n’a aucun sens pour le client lambda.
  • La mise en cohérence des offres sur l’ensemble des enveloppes fiscales (compte titre, PEA, assurance-vie, PER) avec les mêmes sous-jacents, proposés quel que soit le support. Les clients ont besoin de clarté le choix de l’enveloppe étant liée à la situation fiscale de chacun.

Illustration : processus simplifié de gestion de la trésorerie court terme

Et si les taux négatifs étaient l’opportunité de revoir la gestion de l’épargne de vos clients ?

Dans toute menace se cache une opportunité et les taux négatifs sont peut-être l’aiguillon qu’il fallait pour repenser en profondeur l’approche de l’épargne financière. Les clients, notamment les plus jeunes, attendent des solutions simples, automatisées et transparentes pour gérer leur épargne. La digitalisation de l’épargne financière a pris beaucoup de retard, il est encore temps de passer à la vitesse supérieure.

Headlink accompagne depuis plusieurs années les établissements bancaires et les gérants d’actifs dans la refonte de leurs parcours clients et de leur offre en épargne financière. Vous êtes prêts à transformer en profondeur votre approche de la gestion des dépôts et de l’épargne financière ? Contactez-nous pour en parler de vive-voix 🙂